L’expérience des écolières danoises avec des routeurs WiFi et du cresson, un bon exemple de mauvaise science (Pepijn van Erp)

EDIT 25/05/2014: Jean-Michel Abrassart, du blog Scepticisme Scientifique, m’a proposé d’inclure une section Sceptom pour ses podcasts, ce que j’ai accepté avec plaisir. Le premier épisode de cette nouvelle série traite de cet article et est disponible ici: Épisode #241: Wifi et cresson.


 

Pepijn van Erp est un mathématicien néerlandais et membre de la fondation sceptique néerlandais Skepsis. Il écrit principalement en néerlandais mais il traduit en anglais les articles qu’il estime les plus intéressants, dans un blog qui s’appelle, tout simplement, Pepijn van Erp. Son blog est moins actif que les deux blogs dont j’ai traduit des articles pour mes premiers posts, Science-Based Medicine et Edzard Ernst, mais une moyenne de 2 posts par mois, c’est tout à fait respectable.

De son blog, j’ai choisi en premier un article qui m’avait particulièrement plu et qui répondait à un sujet qui avait fait un petit buzz il y a quelques mois: une expérience d’école qui « prouvait » la nocivité des ondes WiFi. Étant donné le climat particulièrement anxiogène qui existe actuellement à propos du WiFi et à peu près de toute technologie peu comprise, mal comprise, ou pas comprise du tout, et vu que peu de médias traditionnels sont apparemment capables de faire autre chose que les perroquets, ce genre d’articles est particulièrement nécessaire et, à mon avis, il n’y en a pas assez. D’où une traduction pour les lecteurs francophones. J’en profite tout de même pour mentionner un autre article francophone sceptique sur le sujet, sur l’excellent blog de Nima Yeganefar, Sham and Science.

L’article original a été publié le 25 mai 2013 sous le titre « Danish School Experiment with WiFi Routers and Garden Cress, Good Example of Bad Science« .

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L’histoire des cinq écolières danoises qui ont gagné un prix grâce à leur expérience montrant prétendument que le rayonnement électromagnétique des routeurs WiFi a un effet négatif sur la germination du cresson, a été rapportée par de nombreux sites internet. Jetez juste un œil au nombre de résultats Google en cherchant « wifi cress« 1. Les filles ont placé devant une fenêtre 12 assiettes contenant des graines de cresson posées dans du coton, les ont arrosées d’eau régulièrement et ont observé la germination des graines. Des routeurs WiFi ont été placés à proximité de 6 des assiettes. Après 13 jours, le cresson a été coupé et séché, et les graines ayant germé ont été comptées.  Une grande différence a été trouvée. Les graines soumises aux rayonnements ont beaucoup moins germé. Une preuve des effets négatifs du WiFi? Pas vraiment.

L’expérience a d’abord été publiée sur un site web danois (traduction Google2) et puis récupérée par Geek.com et ABC News notamment. Des comptes-rendus pas très critiques. Le journaliste scientifique norvégien Gunnar Tjomlid a bien étudié le design de l’étude et le rapport. Il a relevé beaucoup de choses à remettre en question. Je vous suggère de lire son excellent blog (avec traduction Google si vous ne lisez pas le norvégien3). Je vais simplement mentionner les choses les plus importantes:

  • Le groupe WiFi et le groupe contrôle n’étaient pas différents uniquement à cause de la présence des routeurs. Sur les images dans le rapport, on peut voir que les PC portables dans le groupe WiFi étaient eux aussi positionnés à proximité des assiettes. Il est fort probable qu’il y ait eu un effet sur le flux d’air et sa température autour des assiettes et par conséquent sur la germination, ce qui n’a rien à voir avec les présence des champs EM. Pas correctement contrôlé.
  • Il était évident quel était le groupe WiFi et quel était le groupe contrôle. Non aveuglé.
  • D’après un contact avec la prof de sciences des filles, Tjomlid a appris qu’il y avait eu deux expériences. Dans la première, les routeurs émettaient uniquement leur SSID. La deuxième expérience, dans laquelle les portables se « pingaient » constamment, ne montrait aucune différence important dans la germination. Seule la première expérience a été utilisée dans le rapport (c’est un point pas tout à fait clair, en raison d’informations contradictoires données par l’enseignante). Biais de publication: ne pas rapporter les résultats négatifs.

    Ce graphe est une bien meilleure représentation des résultats, mais pas aussi "sexy" que les photos du cresson.

    Ce graphe est une bien meilleure représentation des résultats, mais pas aussi « sexy » que les photos du cresson.

  • Les articles retrouvés dans les blogs illustraient la différence en germination par des photos des assiettes de cresson, l’une montrant du cresson mature, non irradié, « sain », et l’autre du cresson irradié, « malade ». Si vous regardez les résultats complets dans le rapport, ils ne paraissent pas si choquants: en moyenne le groupe contrôle avait 332 graines germées contre 252 dans le groupe WiFi. Représentation trompeuse des résultats dans la presse.
  • (non relevé par Tjomlid). Les assiettes d’un groupe n’étaient pas spatialement séparées, donc on ne peut considérer des assiettes individuelles comme des observations indépendantes. En fait, on pourrait estimer qu’il s’agit d’une expérience à N=2. Analyse statistique erronée.
  • Les filles ont arrêté l’expérience au jour 13. Pas parce qu’il s’agissait d’un moment prédéfini, mais parce que c’est le moment où le cresson du groupe contrôle avait atteint sa hauteur maximale. Le problème, c’est qu’avec une différence de température de seulement quelques degrés, le cresson peut mettre quelques jours supplémentaires à atteindre la même hauteur. S’il y avait donc une différence de température à cause de l’emplacement des PC portables, ou pourrait s’attendre à ce que le groupe WiFi ait poussé de façon similaire au groupe contrôle si on l’avait laissé quelques jours de plus. Elles cherchaient à obtenir le résultat qu’elles attendaient. Biaisées envers un résultat particulier.
  • Donc comment ces jeunes filles ont-elles accumulé autant de biais? Eh bien, on ne leur avait fourni que de la littérature pointant vers des études qui montraient des effets nocifs, menées par des chercheurs discrédités par des scientifiques sérieux. Et pour un potentiel mécanisme de fonctionnement (dangereux) des champs EM, elles se sont basées sur un unique rapport écrit par Thomas Grønborg, qui lui-même s’est basé sur Olle Johansson (voir plus loin). Choix partial des sources.
D'après le site danois: "Des chercheurs de Grande-Bretagne, des Pays-Bas et de la Suède ont montré beaucoup d'intérêt dans l'expérience de biologie des cinq filles."

D’après le site danois: « Des chercheurs de Grande-Bretagne, des Pays-Bas et de la Suède ont montré beaucoup d’intérêt dans l’expérience de biologie des cinq filles. »

Qui sont donc ces scientifiques si enthousiastes par rapport à cette mauvaise expérience? L’article sur le site danois mentionne Olle Johansson, qui a reçu le prix « Trompeur de l’année » des sceptiques suédois en 2004. Il est bien connu pour ses idées sans fondement sur les effets nocifs des rayonnements. Il est dit dans l’article danois qu’il compte répliquer l’expérience des filles en collaboration avec la chercheuse senior Marie-Claire Cammaerts de l’Université Libre de Bruxelles4. On ne devrait s’attendre à rien de bon de cette réplication car, comme je l’ai montré dans le blog il y a quelques temps, on ne peut probablement pas faire beaucoup confiance à Cammaerts pour ce genre d’expériences (voir: Des fourmis capables de miracles statistiques sous rayonnement de GSM?5)
Tjomlid mentionne aussi Andrew Goldsworthy, un autre alarmiste bien connu, et le néerlandais Niek van ‘t Wout, qui est le responsable de l’espace vert d’une ville néerlandaise et l’instigateur de recherches sur les effets potentiellement nuisibles du WiFi sur les arbres (il n’est donc pas scientifique lui-même). Après une expérience pas très concluante, l’université de Wageningen a repris la suite, dont on n’a plus entendu parler.

Il est assez clair qu’on ne peut tirer de cette expérience aucune conclusion sur les effets non thermiques des routeurs WiFi sur la germination. C’est dommage que les filles aient eu comme superviseur une enseignante manifestement biaisée et que leur travail est maintenant récupéré par des pseudo-scientifiques comme « preuve » que les champs EM sont très dangereux, alors que le consensus est que, si risques il y a, ils sont extrêmement faibles. On peut difficilement blâmer les filles pour les erreurs commises et on espère que cette expérience n’entachera pas leur intérêt pour la recherche. Ce peut même être un excellent apprentissage, pour autant qu’elles veuillent bien regarder à ce qui n’allait pas, parce qu’il y avait trop de mauvaise science.

N’oubliez pas de lire le blog de Gunnar Tjomlid, il contient bien plus de choses intéressantes que mon résumé: http://blogs.wsj.com/numbersguy/trees-and-wi-fi-may-co-exist-after-all-1018/

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1 J’ai fait aussi une recherche « wifi cresson » sur google.be

2 Et la Google traduction en français ici. (Il va de soi que si je lisais le danois, je vous aurais fourni une traduction de meilleure qualité.)

3 Et la traduction Google française ici.

4 C’est là d’où je viens, donc je peux pas m’empêcher de faire une spéciale dédicace à mes amis ulbistes. La mention de l’ULB n’est pas tout à fait reluisante dans ce contexte, mais tant pis.

5 Il est probable que je traduise celui-ci un autre jour.

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Re-joyeux Noël!

9 réflexions sur “L’expérience des écolières danoises avec des routeurs WiFi et du cresson, un bon exemple de mauvaise science (Pepijn van Erp)

  1. Ce qui est le plus désolant, c’est que des lecteurs accordent un crédit à des sites web qui prétendent « informer » aussi bien sur les effets des ondes é-m que sur l’assassinat de Kennedy ou la zone 51. C’est comme si un biologiste validait la théorie des cordes et donnait son avis de spécialiste sur la musique concrète.

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