L’acupuncture contre les nausées de la grossesse

Récemment, j’ai partagé sur mon fil twitter ainsi que sur ma page facebook un article du blog Science-Based Medicine intitulé « False Claims for Acupuncture ». En deux mots cet article décrit les conclusions essentiellement négatives concernant l’efficacité de l’acupuncture pour n’importe quelle condition. Sur le partage facebook, une lectrice pose une question intéressante : « Et donc pourquoi la HAS recommande l’acu pour le traitement des nausées gravidiques ? ».

C’est effectivement une très bonne question. J’ai moi-même tendance, lorsque je ne suis pas expert sur un sujet à aligner mon opinion sur le consensus scientifique, s’il existe, et j’utilise en général la position des agences de santé comme un proxy pour un tel consensus. À peu près la totalité des mes lectures sur l’acupuncture, à partir de sources que je juge habituellement très fiables, comme le blog Science-Based Medicine, m’a conduit à l’opinion que l’acupuncture ne fonctionne pour rien. La question de mon interlocutrice vient donc me faire douter. Pourquoi, en effet, la Haute autorité de la Santé, un organisme pas vraiment connu pour ses extravagances ou positions folles, et au contraire plutôt connu pour des prises de position basées sur la science, recommande-t-elle l’acupuncture pour les nausées de grossesse ?

J’ai donc décidé de creuser un peu la question, et comme elle n’est pas simple, j’ai trouvé plus utile d’en faire un billet de blog plutôt que de répondre directement dans le fil Facebook.

J’ai commencé par chercher sur le site de la HAS les documents où il était question de recommandations de l’acupuncture pour les nausées de grossesse ; j’ai trouvé ceci. On peut y lire (page 20) :

Seuls le gingembre et l’acupuncture sont efficaces pour les nausées (grade A).

Et un peu plus loin (page 23) à propos des mesures qui « peuvent s’avérer efficaces » pour réduire les symptômes de nausées et vomissements en début de grossesse :

méthodes naturelles : gingembre en gélule ; stimulation du point d’acupuncture P6 ou point de Neiguan (point situé à la face interne de l’avant-bras, trois doigts au-dessus du poignet) (grade A)

Sur quoi se base la HAS pour affirmer cela ? Réponse en début de document (page 10) :

Ce travail s’appuie sur une traduction en français des recommandations du National Institute for Clinical Excellence (NICE) « Antenatal care : routine care for the healthy pregnant woman » publiées en octobre 2003.

D’emblée, je prends note de deux choses ici : d’une part il s’agit d’une traduction, il faut donc que j’aille lire l’original, et d’autre part le document date déjà de 2003, et il est fort probable que d’autres éléments de preuve aient vu le jour depuis.

Notons au passage que le « grade A » désigne un niveau de preuve sur une échelle de trois grades (A, B et C) ainsi décrite :

une recommandation de grade A est fondée sur des études scientifiques de fort niveau de preuve ; une recommandation de grade B est fondée sur des présomptions scientifiques fournies par des études de niveau de preuve intermédiaire ; une recommandation de grade C est fondée sur des études de faible niveau de preuve.

Le document de la HAS n’en dit pas plus et ne cite pas les références de NICE. Je décide donc de m’attaquer au document original que l’on trouvera ici. Il s’agit d’un document beaucoup plus fourni, et la discussion concernant les nausées commence en section 6.1, page 130 sur un total de 454. On y apprend qu’ils se sont basés sur trois revues systématiques d’essais cliniques randomisés contrôlés (RCT en anglais, pour Randomized Clinical Trial). A priori, il s’agit du plus haut niveau de preuve en sciences. J’ajouterai cependant que les revues systématiques ne sont pas immunisées contre l’erreur. Elles souffrent en particulier de ce que nos amis anglophones ont surnommé GIGO : Garbage In, Garbage Out. Autrement dit, une revue systématique qui n’incorpore que des données douteuses ne pourra sortir qu’une conclusion douteuse.

Ces trois revues systématiques incluaient alors 7 RCTs testant l’efficacité sur les nausées de l’acupression du point P6, situé sur la face antérieur de l’avant-bras à approximativement trois doigts du poignet. Six RCT montraient un effet positif et le 7e ne montrait pas d’effet supérieur au groupe avec traitement simulé ou au groupe contrôle (non traité). D’autres études sur le port de bracelets d’acupression sont également mentionnées.

Notons ici qu’il ne s’agit donc pas de véritable acupuncture. Cela fait partie des « tactiques » habituelles, quoique probablement inconscientes, des promoteurs de l’acupuncture : modifier la définition et la rendre suffisamment vague dans l’espoir de faire ressortir quelque chose de positif. Le terme acupuncture est utilisé dans la littérature indifféremment pour décrire diverses choses : planter des aiguilles dans des points spécifiques décrits par la MTC (Médecine Traditionnelle Chinoise), planter des aiguilles n’importe où, faire pression sur un point d’acupuncture, faire pression n’importe où, mettre des aiguilles et faire passer un courant électrique.

Mais ne jugeons pas trop vite. À ce stade, il faut maintenant se tourner vers les trois revues systématiques citées. Voici les références :

  • Jewell D, Young G. Interventions for nausea and vomiting in early pregnancy. Cochrane Database of Systematic Reviews. 2001;(2)
  • Murphy PA. Alternative therapies for nausea and vomiting of pregnancy. Obstetrics and Gynecology. 1998;91:149–55
  • Vickers AJ. Can acupuncture have specific effects on health? A systematic review of acupuncture antiemesis trials. Journal of the Royal Society of Medicine. 1996;89:303–11

Évidemment, ça commence à dater. Plus de 20 ans se sont écoulés depuis la dernière référence, ce qui est énorme dans le monde de la recherche. Jetons un œil à la première référence. En la cherchant, on tombe d’abord là-dessus, où on peut lire (traduction personnelle) :

Cette revue a été retirée des publications car elle a été remplacée par une nouvelle revue (Matthew 2010)

Il sera intéressant d’aller voir cette nouvelle revue, mais pour l’instant, cherchons l’original de 2003. Avec quelques outils adéquats, on peut retrouver le texte sans trop de peine. Citons les conclusions des auteurs (traduction personnelle) :

Les preuves concernant l’acupuncture ou l’acupression de P6 sont limitées. Elles n’ont pas permis de montrer une meilleure efficacité qu’une acupuncture ou acupression simulée ou qu’une approche standard centrée sur l’alimentation et le style de vie.

Pas un très bon début. Et que dit la version mise à jour de 2010 ? À peu près la même chose :

Les preuves concernant l’efficacité de l’acupression de P6 (y compris l’acustimulation) sont limitées. Quelques données sont en faveur de l’acupression auriculaire, mais de plus grandes études sont nécessaires pour confirmer ces résultats. L’acupuncture (P6 ou traditionnelle) n’a pas montré de bénéfice significatif chez les femmes victimes de nausées ou vomissements en début de grossesse.

Les plus courageux pourront aller se plonger dans le reste du texte. On y apprend des choses intéressantes sur les problèmes méthodologiques notamment sur la nécessité d’un bon aveugle dans les études. Les études en acupuncture sont réputées pour être difficiles à aveugler ; il ne suffit pas donc de trouver un mécanisme d’aveugle à la fois pour les patientes et les praticiens, mais il faut en plus vérifier post hoc que l’aveugle a bien fonctionné. Si les patientes ont pu deviner dans quel groupe elles appartenaient, cela remet en cause les résultats. C’est effectivement une critique qui revient dans le papier. On y apprend aussi l’importance de rapporter tout traitement concomitant. Certaines études ne spécifiaient pas si de telles données avaient été collectées. C’est évidemment crucial : si le groupe expérimental est aussi plus friand d’anti-émétiques, cela peut fausser les résultats. Un tas d’autres considérations sont également discutées.

Passons à la seconde référence. L’abstract est librement disponible ici et le texte complet peut se trouver grâce aux outils adéquats cités ci-dessus. Dans la section des résultats on lit :

Des preuves d’effets bénéfiques ont été trouvées pour ces trois interventions [acupression, gingembre et pyridoxine], bien que les données concernant l’acupression sont équivoques.

Cette précaution veut dire qu’il faudrait plus de données, plus d’études pour avoir une idée plus claire de ces effets bénéfiques. Manifestement, 10 années de plus de recherches (Matthews 2010) ont répondu à la question : il n’y a pas d’effet.

Cet article donne également d’importantes précautions sur l’évaluation de pratiques alternatives et en particulier l’acupuncture. Par exemple :

Il est probablement impossible d’appliquer un véritable double aveugle avec un groupe contrôle sans traitement. Par la nature même des traitements d’acupuncture ou acupression, les sujets seront conscients qu’ils reçoivent le traitement, et toute réduction de symptômes pourrait être due à l’effet placebo.

Ou encore :

Vu que les nausées et les vomissements durant la grossesse ont tendance à se résoudre spontanément, certaines femmes iront mieux durant la période d’observation, avec ou sans traitement.

Et c’est un point important. Une des études utilisées dans la méta-analyse comprend un groupe interventionnel de femmes à 11,4 semaines de grossesse en moyenne, contre 10,8 et 10,6 dans les groupes contrôles. Vu que les nausées disparaissent spontanément vers la douzième semaine, cette différence peut compromettre les résultats.

La troisième référence, la plus ancienne donc probablement la moins intéressante pour nous à ce stade, peut être trouvée ici. L’abstract vaut la peine d’être cité extensivement :

Trente-trois essais cliniques ont été publiés dans le monde, dans lesquels le point d’acupuncture P6 était stimulé pour le traitement des nausées et/ou vomissements associés à la chimiothérapie, la grossesse ou la chirurgie.

L’acupuncture de P6 était égale ou inférieure au groupe contrôle dans 4 essais lors desquels elle était administrée sous anesthésie ; dans 27 des 29 essais restants, l’acupuncture était statistiquement supérieure. Une seconde analyse a été faite sur les 12 études de plus haute qualité, randomisées et contrôlées contre placebo, dans lesquelles la stimulation du point d’acupuncture P6 n’était pas administrée sous anesthésie. Onze de ces études, incluant près de 2000 patients, montraient un effet de P6. Les articles revus montraient des résultats cohérents à travers les investigateurs, les différents groupes de patients, et les différente formes de stimulation du point d’acupuncture.

En-dehors des conditions d’anesthésie, la stimulation du point d’acupuncture P6 semble être une technique antiémétique efficace. Les chercheurs font maintenant face à un choix entre accepter que l’acupuncture a réellement des effets spécifiques et passer de « L’acupuncture fonctionne-t-elle ? » à une série de questions plus pratiques ; ou bien décider que les preuves de l’effet antiémétique de P6 sont trop limitées et spécifier ce qui serait considéré comme des preuves acceptables.

Pour ceux qui n’ont pas l’habitude de la littérature scientifique, le langage est assez inhabituel.

Comme pour les autres articles, la lecture du texte regorge d’informations intéressantes. Les scientifiques ont l’habitude de penser systématiquement à tout ce qui pourrait fausser leurs résultats et ils citent une série de facteurs qui pourraient expliquer de faux positifs ou faux négatifs. On trouve de nouveau une discussion sur l’aveugle dans ce papier, un point particulièrement crucial dans les études d’acupuncture. On y lit que l’article mélange des études aveuglées et non aveuglées ; lorsque l’analyse est restreinte au sous-groupe des études aveuglées, l’effet devient seulement « marginalement supérieur » au groupe contrôle. La présence de stimulation électrique pose également problème, notamment pour la difficulté d’aveugler la sensation du courant électrique mais également parce qu’une stimulation électrique est fort différente d’une acupuncture véritable, et il n’est pas impossible que l’acupuncture soit sans effet mais la stimulation électrique en ait un. Il faut enfin souligner l’honnêteté de l’auteur qui décrit sa méthode d’évaluation de la qualité des études incluses comme « inhabituelle » et pouvant « potentiellement diminuer la réplicabilité de cette revue ».

La lecture de ces discussions est vraiment intéressante. Alors qu’on peut trouver des conclusions parfois relativement tranchées dans les abstracts, la section Discussion est remplie de précautions diverses. C’est le scepticisme par défaut propre à la méthode scientifique, une approche hautement plus subtile, mais sans doute moins satisfaisante que les formules péremptoires et absolues qu’on peut trouver dans les médias traditionnels qui rapportent la science.

Bref, après s’être plongé plus ou moins profondément dans les preuves disponibles, la question n’est toujours pas vraiment répondue. Certes, la HAS reprend sans broncher les résultats de NICE, mais cela ne dit pas pourquoi NICE se montre si enthousiaste vis-à-vis de l’acupuncture lorsque 2 des 3 références sont essentiellement négatives et par ailleurs de plus grande importance étant donné qu’elles sont plus récentes.

Mon avis personnel, qui n’engage que moi, est sans doute que l’approche et l’objectif sont différents. Les revues systématiques tentent d’établir un fait de notre monde : l’acupuncture est-elle efficace dans le traitement des nausées de la grossesse ? La réponse est : probablement non. Les recommandations de NICE et de la HAS sont des recommandations : des guides pour les médecins sur ce qu’ils peuvent potentiellement recommander à leurs patientes pour traiter un symptôme désagréable (et parfois dangereux). Certains argumenteront que les critères de scientificité et de véracité peuvent être amoindris dans un tel scénario. Peut-être l’acupuncture n’a pas d’effet, mais certaines études en montrent un quand même, et si ça ne fait pas de mal, alors pour ne pas essayer ? C’était peut-être l’état d’esprit des auteurs du rapport NICE, que je ne partage pas, mais qui peut certainement être débattu.

Je n’ai en tout cas pas trouvé de raisons convaincantes de changer d’avis sur l’acupuncture. Pour être honnête, je pars d’un a priori négatif, non pas en raisons de convictions personnelles, mais à partir de nombreuses lectures fiables. Ce que je conclurai personnellement de ces quelques recherches, c’est qu’il n’y a rien qui remplace la lecture de la littérature scientifique, pas même l’avis d’une agence scientifique. Je ne serais cependant pas étonné si la HAS arrêtait de recommander l’acupuncture dans une mise à jour de leurs recommandations.