Les dangers de la pensée magique dans les arts martiaux (Violent Metaphors)

C’est toujours drôle de voir un bon FAIL, surtout quand ça implique un debunking de la pensée magique. Dans le domaine des arts martiaux, cependant, la pensée magique peut se révéler dangereuse car elle peut vous mettre en situation de totale vulnérabilité alors que vous vous sentiez en confiance.

Voici un article écrit par Jeff Westfall, propriétaire et instructeur en chef de l’association Marcello Monteiro de Jiu Jitsu brésilien, et publié sur le blog Violent Metaphors le 23 février 2014: « The Dangers of Magical Thinking in the Martial Arts« .


Récemment, j’ai vu sur Facebook une vidéo d’un pratiquant finlandais des arts martiaux qui s’appelle Jukka Lampila, pratiquant ce qu’il appelle Empty Force ou EFO, et prétendant pouvoir contrôler un attaquant sans le toucher. Sa page Facebook le proclame fondateur de l’EFO. La vidéo commence par des extraits de Lampila en train de repousser des « attaques » de ses étudiants. Il balance ses bras, parfois fait des petits mouvements brusques, et dans tous les cas, « l’attaquant » semble être magiquement jeté au sol sans avoir jamais été touché par Lampila. Il montre également un exemple de « contrôle » de quelqu’un au sol. Il s’agenouille calmement à côté d’un étudiant couché sur le dos, avec la dos de sa main reposant tranquillement sur le torse du type. « Je n’ai pas besoin d’utiliser la moindre énergie » affirme-t-il alors que l’étudiant semble essayer de toutes ses forces de se remettre sur ses pieds, sans succès. C’est une bien triste démonstration de charlatanisme en arts martiaux.

Malheureusement pour M. Lampila, un groupe de sceptiques était dans l’assistance ce jour-là, et plusieurs d’entre eux se sont portés volontaires pour être « contrôlés » par M. Lampila. Sa méthode était d’avoir un volontaire qui devait tenter de le pousser. Il n’arriva pas une seule fois à les en empêcher. Les sceptiques étaient admirablement polis, offrant à M. Lampila d’innombrables occasions de faire ses preuves et sans s’amuser ostensiblement de ses échecs. Lorsque l’un d’entre eux lui demanda calmement s’il voulait démontrer l’efficacité de sa défense contre une attaque avec les poings, M. Lampila refusa. À la fin de la séance, il invita les participants à payer pour son séminaire le lendemain!

Je suis dans les arts martiaux depuis 1971. Je les enseigne depuis 1975. Durant tout ce temps, et longtemps avant que je découvre formellement le scepticisme scientifique, j’ai vu quantité de gens attirés par des styles d’arts martiaux basés sur de la pseudoscience. Les plus grands coupables sont de loin les arts martiaux qui défendent leur efficacité par le développement et la manipulation d’une prétendue forme d’énergie interne. Que vous l’appeliez Chi, Ki, Prana, la « Force », ou Empty Force, son existence n’a jamais, à ma connaissance été prouvée par des expériences scientifiques robustes, en double aveugle, et répliquées. Si c’est bien de l’énergie, où sont les instruments scientifiques servant à mesurer ses niveaux? Est-ce de l’énergie chimique, radiative, nucléaire, cinétique, électromagnétique, mécanique, d’ionisation? Est-ce de l’énergie sous forme d’ondes ou de particules? Au risque d’utiliser un argument d’épouvantail, je m’aventure dans une supposition et imagine que les pratiquants et les apologistes de ces arts martiaux diraient que la science ne sait pas tout, et que le « pouvoir du chi » reste encore inexpliqué par la science. Si c’était plausible, ne verrait-on pas un grand nombre de physiciens essayer de décrocher un futur prix Nobel en tentant de prouver l’existence de cette énergie vitale?

Durant ces 43 dernières années, j’ai vu toute une série de « démonstrations » de ce pouvoir. Je ne suis guère impressionné. La plupart de ce que j’ai vu était de lamentables tours de passe-passe, que je pourrais facilement expliquer si ce n’est reproduire, sans avoir recours à la magie. Le reste était des démonstrations d’incapables comme celle de M. Lampila.

J’affirme que les rares occasions où les pratiquants de ces styles se défendent efficacement sont dues une application correcte des principes du levier et de la biomécanique, et non au pouvoir magique du Ki.

Ce phénomène pose des questions. D’abord, qu’est-ce qui pousse les gens à s’entraîner dans un tel système d’arts martiaux? Ensuite, qu’y a-t-il dans la tête de ceux qui sont déjà entraînés dans de tels systèmes et poursuivent leur entraînement après avoir vu leur « maître » ridiculisé comme M. Lampila dans la vidéo?

En ce qui concerne l’attrait de cette pratique, je citerai ce que le scepticisme scientifique m’a appris. L’expérience de la vie humaine est complexe. Un trait caractéristique des humains est que nous avons tendance à être décontenancés par la complexité et à rechercher des réponses simples. Peut-être cela nous vient de notre histoire génétique précoce en tant qu’animaux de proie. Dans un tel environnement, trop de temps passé à une profonde réflexion rationnelle peut vous être fatal. Des heuristiques simples et approximatives servent de mécanismes de survie. Peut-être avons-nous une sorte d’instinct à rechercher la simplicité. Quoiqu’il en soit de l’origine de notre propension à chercher des réponses simples à des questions complexes, cela peut nous exposer à la pensée magique et nous rendre vulnérable face aux arnaqueurs et aux charlatans.

Pour beaucoup, un entraînement intensif et complet dans la pratique des arts martiaux est un challenge trop décourageant. Ça prend du temps. Ça coûte de l’argent. Ce serait tellement plus simple si on pouvait laisser tomber les étirements, les exercices, les défaites et les blessures occasionnelles, et « simplement » cultiver son énergie interne!

Cela arrive également souvent que certaines personnes souhaitent apprendre l’auto-défense, mais ont une profonde révulsion envers la violence. Malheureusement, ces gens d’une nature douce sont habituellement particulièrement attirés par le leurre d’un style d’arts martiaux qui prétend être à la fois efficace et humain grâce à l’utilisation du « Chi ». J’ai beaucoup de sympathie pour ces personnes et je respecte profondément leur pacifisme. Par conséquent, je suis particulièrement énervé quand je les vois se faire avoir par des arnaqueurs arrogants, condescendants, qui prennent tranquillement leur argent tout en gardant un mépris dissimulé pour leur bêtise.

Une auto-défense efficace requiert de l'entraînement, pas de la pensée magique. source: http://rpmartialarts.com/drupal/content/about-us

Une auto-défense efficace requiert de l’entraînement, pas de la pensée magique. source: http://rpmartialarts.com/drupal/content/about-us

La meilleure façon d’être capable de se défendre tout en s’efforçant de ne pas blesser votre attaquant est de s’entraîner dans les arts martiaux jusqu’à atteindre un certain niveau de compétence. Une personne qui n’est pas raisonnablement compétente en auto-défense ne peut pas plus affirmer être pacifiste qu’un eunuque peut affirmer choisir le célibat.

Pour ce qui est d’expliquer ce qui pousse les gens déjà entraînés dans ces styles à poursuivre alors qu’ils ont été mis face à l’absence de preuves, il y a des parallèles avec d’autres formes de pseudoscience. Qu’il s’agisse de guérison par la foi, de médecine alternative, d’astrologie, ou de toute autre forme de ce que James Randi appelle « woo »1, il y a deux types de disciples.

Le premier type, ce sont les « vrais croyants », qui ont tellement investi d’eux-mêmes qu’ils sont sensibles à la dissonance cognitive et se détournent des preuves parce que le sens même de leur identité dépend désormais sur le fait que leur croyance soit vraie. L’être humain est malheureusement très enclin à l’auto-illusion. Beaucoup s’engagent dans les arts martiaux pour des raisons autres que l’auto-défense. Une motivation très courante, consciente ou non, est que cela vous aide à vous sentir mieux dans votre peau. Beaucoup de personnes possèdent une caractéristique que la psychologie nomme Personnalité encline à l’imagination (PEI) [NdT: Fantasy Prone Personality, en anglais]. Pour ceux avec une PEI, des arts martiaux basés sur la magie conviennent parfaitement, permettant la fascination avec le surnaturel tout en construisant l’image de soi pour l’étudiant.

Le second type de disciple est l’apprenti escroc qui constate les avantages dont jouit le pratiquant et qui paye ses cotisations dans l’espoir de devenir le successeur du maître.

Il est intéressant de noter que les instructeurs d’arts martiaux qui versent dans ce style tombent également dans les catégories de vrai croyant et d’escroc cynique à la fois.

Que faire à propos des escrocs en arts martiaux? Je suis assez réfractaire aux régulations gouvernementales. Il y a trop de styles disparates de pratiques d’arts martiaux pour rendre ça faisable. Je pense que le meilleur moyen de les contrer est de diriger sur eux les lumières actiniques du scepticisme scientifique. La lumière du soleil est le meilleur désinfectant.

Ne soyez pas découragés par les échecs essuyés dans cette entreprise. La nature humaine fournit une source constante de victimes pour les prédateurs pseudoscientifiques. Tout comme les pratiquants des médecines alternatives, ils sont insensibles à la rigueur de la logique et de la méthode scientifique. Combattre ces personnes est similaire à se brosser les dents ou tondre sa pelouse, on n’en a jamais fini une fois pour toutes, mais on continue à le faire!


1 Le terme « woo » est un raccourci de « woo-woo » ou « woo woo », utilisé dans le monde anglo-saxon pour désigner des idées style new age, alternatif, basées sur la pensée magique, et par extension les gens qui partagent de telles idées. Le mot peut être aussi bien utilisé comme nom que comme adjectif. Son origine n’est pas très claire, il semblerait que le terme apparaît vers 1986; certains ont suggéré que woo-woo se référait au son des musiques de fond, typiquement joué au Thérémine, dans des films d’horreur ou de science-fiction; d’autres ont suggéré que c’était dérivé de la musique de Twilight Zone; j’ai également vu un commentaire de quelqu’un qui y voyait le son que quelqu’un ferait en décrivant une histoire de fantômes (WouOUou!), typiquement en agitant les doigts. Vous m’excuserez si je n’ai pas trouvé de traduction pour ce terme, mais si vous avez des suggestions, je suis preneur!


9 réflexions sur “Les dangers de la pensée magique dans les arts martiaux (Violent Metaphors)

  1. Je comprends votre scepticisme concernant le Qi ou le Ki, probablement du fait que l’on ne pouvait ni le matérialiser si le voir. Du moins jusqu’à 2004 ou la circulation du QI dans les méridiens a été mis en évidence en allemagne par scintigraphie, de même certains médecins affirment même la pseudoscience du Qi mais ils n’acceptent pas que les non-médecins prodiguent des soins selon les préceptes de médecine chinoise. En gros ils prodiguent des soins auxquels ils ne croient pas? Bien sûr que si que le QI existe, de là à croire qu’il s’agisse de la force de star wars ou du kamehameha de dragon ball il y a un monde. Quant à la nature de l’énergie Qi qui vous interroge, il s’agit exactement de la même qui a été mise en évidence par Einstein, sauf que les chinois il y a 5000 ans n’avaient pas les protocoles scientifiques nécessaires à leurs observations. Pour illustrer mon propos, c’est un peu comme si le prof de maths donnait le résultat d’une équation sans détailler le raisonnement. Il y a encore effectivement bon nombre de recherches à faire dans ce domaine.

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  2. Bonsoir,

    J’ai trouvé cet article excellent, de même que l’ensemble du blog.
    Cela m’amène à une question que je me pose depuis que je vais sur les blog sceptique et zététique : où trouver une vulgarisation scientifique de qualité concernant les arts martiaux ?
    En effet, on voit les méthode de self-défense et les art martiaux proposer des condition de ce qui rend efficace en situation de défense très différentes. Certains propose un entraînement à la dure avec des répétitions (comme la boxe thai) d’autres plutôt un travail en relâchement (notamment le systema). Or j’aimerais savoir jauger quel art/méthode/type d’entraînement permet de développer des compétences, des qualités physique et mentales utiles pour se défendre. N’ayant pas les compétence pour prendre la mesure des études elle-mêmes (je ne m’y connais pas en biomécanique et transformer un entraînement en préparation d’utilisation de compétences en situation de stress intense me paraît difficile) une vulgarisation me paraît plus adapter à mon niveau de connaissance.
    En vous remerciant de l’attention que vous porterez à ma requête,
    Cordialement,

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    • Bonjour,
      je connais personnellement peu le domaine des arts martiaux donc je ne pourrais pas t’aider. Je te suggérerais toutefois de poser ta question à « Scepticisme scientifique », via le site web ou la page Facebook. Jean-Michel Abrassart pourrait peut-être te conseiller.

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