La VRAIE raison pour laquelle certains détestent le nucléaire (Brave New Climate)

Je vous l’avoue tout de suite: le titre est un peu trompeur. Cet article ne va pas parler vraiment de nucléaire mais plutôt de la façon dont son risque est perçu. Ou plutôt, de la façon dont tous les risques sont perçus. L’auteur, Martin Nicholson, fait une revue d’un livre de David Ropeik sur la perception des risques.

L’article original, posté sur Brave New Climate le 2 février 2014, est: « The REAL reason some people hate nuclear energy« .


Quand certains expriment leur haine envers le nucléaire, ils utilisent souvent les arguments suivants: les dangers des fuites radioactives, le risque de prolifération des armes, le problème des déchets nucléaires, le fait que l’énergie nucléaire est trop chère et que, de toute façon, on n’en a pas besoin! Aucun de ces arguments n’a de fondements scientifiques solides. Si c’était le cas, des tas de pays dans le monde (comme les USA, le Royaume Uni, la France, la Finlande, la Russie, l’Inde, la Corée du Sud, les EAU) ne poursuivraient pas la construction de nouvelles centrales pour subvenir à leurs besoins énergétiques.

Alors que se passe-t-il?

How Risky Is It, Really? - Book coverJ’ai lu récemment le livre de David Ropeik, How Risky Is It, Really?1 (2010 McGraw-Hill), qui pourrait bien fournir une explication. Ropeik est un consultant en perception du risque et nous introduit à la psychologie de la peur. Il cherche à comprendre pourquoi nos peurs ne correspondent pas toujours aux faits. Il nous offre une vision en profondeur de nos perceptions du risque et des facteurs cachés qui nous rendent inutilement craintifs de dangers relativement petits et pas assez craintifs des gros dangers. Il introduit le concept important de Décalage de Perception – la différence potentiellement dangereuse entre nos peurs et les faits. Nous devons reconnaitre cet écart si nous voulons le réduire et faire des choix de vie plus sains pour nous-mêmes, nos familles et la société.

Les facteurs de perception du risque

Ropeik explore une série de ce qu’il nomme facteurs de perception du risque. Ces facteurs peuvent altérer la peur, en l’augmentant ou la diminuant. Le plus souvent, plus d’un facteur est présent dans notre perception générale d’un danger. Ci-dessous se trouve la liste des facteurs clés ainsi que des exemples de la façon dont ces facteurs pourraient avoir un impact sur les attitudes envers l’énergie nucléaire ces dernières années:

  1. La confiance – Qui est de notre côté et qui ne l’est pas. C’est un élément qui était clairement absent dans l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima, où Tepco, l’opérateur de la centrale, a été accusé de dissimuler l’étendue de l’accident, augmentant par conséquent la crainte.
  2. Risque/bénéfice – Un exemple clair est le compromis entre les risques perçus pour l’énergie nucléaire et sa capacité connue à réduire les émissions de gaz à effet de serre ainsi que les risques sanitaires liés à l’utilisation des énergies fossiles.
  3. Le contrôle – Plus nous pensons avoir un contrôle, plus nous nous sentons en sécurité. S’il y a une fuite radioactive dans un réacteur nucléaire, ceux qui sont potentiellement exposés, qui ne comprennent en général pas le niveau de risque et ne peuvent certainement pas contrôler les retombées, ressentent une perte de contrôle, ce qui accentue naturellement leur peur.
  4. Le choix – Si le risque a été volontairement choisi, vous aurez moins peur. En Finlande, l’emplacement d’une centrale de déchets nucléaires était soumis au droit de veto des communautés locales – elles ont fait leur choix. La situation était très différente à Yucca Mountain. Les finlandais ont accueilli la centrale de déchets mais les habitants du Nevada ont craint pour leur sécurité.
  5. Le risque est-il naturel ou artificiel? – les radiations solaires sont naturelles, les radiations de l’énergie nucléaire sont artificielles donc nous craignons les radiations nucléaires mais pas les radiations solaires. Pourtant, les radiations solaires sont plus dangereuses que les radiations nucléaires.2
  6. Douleur et souffrance – le degré de douleur et de souffrance a un impact sur le degré de peur. Les radiations peuvent causer le cancer (bien que le risque est minime3), ce qui implique de la douleur et de la souffrance, et donc nous en avons peur.
  7. L’incertitude – moins nous sommes certains, plus nous sommes craintifs. L’incertitude autour de Three Mile Island4 a eu comme conséquence la fuite des populations locales, créant un énorme bouleversement. L’incertitude mène au principe de précaution – on n’est jamais trop prudent. Une évacuation similaire a également eu lieu à Tchernobyl et Fukushima.
  8. Ça pourrait m’arriver – tout risque semble plus important si vous pensez que ça pourrait vous arriver, même avec une infime probabilité.
  9. Risques pour les enfants – Tout risque envers un enfant crée plus de peur que le même risque envers un adulte. L’une des premières initiatives à Fukushima fut de protéger les enfants contre le cancer de la thyroïde en leur administrant des pilules d’iode. Certains parents sont tellement effrayés qu’ils font régulièrement passer des tests à leurs enfants bien que ce soit probablement superflu et potentiellement incommodant pour l’enfant.

En utilisant les facteurs de perception du risque ci-dessus, les défenseurs de l’environnement arrivent à dramatiser les risques de la nourriture OGM, du gaz de charbon, du forage en mer ainsi que l’énergie nucléaire et les déchets nucléaires. Tout comme les journalistes. Comme le dit Ropeik, « ce qui fait peur se vend très bien ». Il était journaliste auparavant et travaillait sur l’énergie nucléaire en Nouvelle Angleterre; il aurait bien voulu savoir alors ce qu’il sait maintenant sur le danger relatif. Les doses d’irradiation apparaissent rarement dans les articles, laissant le lecteur dans l’incertitude à propos du risque. Pire, si la dose est modérée, on la minimise. Si la dose est susceptible d’augmenter l’inquiétude, on l’exagère.

Les facteurs de perception de risque mènent au concept de décalage de perception – le dangereux écart entre nos peurs et les faits. On devrait tenter de réduire ce décalage de perception et faire de meilleurs choix pour nous-mêmes et la société.

Réduire le décalage de perception

Les décalages de perception sont fréquents...

Les décalages de perception sont fréquents…

Prendre des décisions politiques basées sur la peur plutôt que sur les faits peut conduire à des décisions qui donnent bonne conscience (par exemple, pas de nucléaire) mais qui augmentent le risque général pour la population (plus de morts et de risques sanitaires par l’utilisation de combustibles fossiles, ainsi que des risques climatiques à cause de l’émission de gaz à effet de serre).Ropeik nous dit que la perception du risque est une caractéristique intrinsèque du comportement animal humain, biologiquement ancrée et inéluctable. Nous devons l’accepter et utiliser ce que nous savons de la façon dont les hommes réagissent face au risque afin de nous aider à prendre de meilleures et plus saines décisions. Nous devons faire sortir de l’ombre de notre inconscient ces facteurs de perception du risque et les utiliser pour permettre à notre pensée critique d’avoir plus de poids dans le processus.

Nous devrions garder l’esprit ouvert et nous donner plus de temps afin d’obtenir plus d’informations de sources fiables et neutres – celles qui n’ont pas de biais manifeste. Nous devons prendre en compte tous les éléments de notre réaction face au risque – pas uniquement les faits. Nous devons tenir compte des pour et des contre de diverses stratégies de gestion du risque. Pourquoi ne pas mettre les sentiments et les valeurs dans l’équation au lieu d’essayer de les faire sortir? Quelle stratégie sera la plus bénéfique?

Une mauvaise communication du risque de la part du gouvernement ou d’agences censées nous protéger, telles que l’International Atomic Energy Agency (IAEA) ou l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), n’arrive pas toujours à tenir compte des perceptions des gens à propos du risque. Ce fut un des éléments clés des conséquences à long terme d’ordre social/psychologique/économique de Tchernobyl. Une situation similaire a eu lieu à Fukushima.

Thomas d’Aquin a dit, « La plupart des hommes semblent vivre selon leurs sens plutôt que leur raison ». Nos vues sur le monde et nos réactions face à lui sont modelées non seulement par ce que nous savons, mais aussi par ce que nous ressentons. De la même façon, David Hume disait, « La raison est et ne peut qu’être l’esclave des passions ; elle ne peut prétendre à d’autre rôle qu’à les servir et à leur obéir ».

Ropeik ajoute dans sa conclusion: « Dans notre confiance en le pouvoir suprême du rationnel, venant tout droit des Lumières, certains pensent que l’on peut, face au risque, faire des choix simplement en rassemblant de façon exhaustive toutes les données scientifiques éprouvées à propos du danger, de l’exposition, des probabilités, en calculant froidement les coûts et les bénéfices des diverses options de gestion du risque, et en choisissant la « bonne » voie, rationnelle, que les faits indiqueront clairement. Les faits révéleront la vérité. »

Jusqu’à récemment, je me serais inclus parmi cette catégorie. Au fil du temps, j’ai réalisé que les faits seuls n’apaiseront pas les craintes des gens. Comprendre leurs réactions face au risque est probablement plus constructif.


1 « À quel point est-ce dangereux, vraiment? » Le sous-titre lit: « Pourquoi nos peurs ne correspondent pas toujours aux faits. »

2 Affirmation à prendre avec de très grosses pincettes. Telle quelle, cette phrase ne veut pas dire grand-chose; selon ce que vous voulez bien comparer (quel type d’émission – alpha, beta, gamma –, quelle énergie, quelle activité, etc.) vous pourrez démontrer la chose et son contraire.

3 Encore une fois, à lire avec prudence. Le risque est minime dans la mesure où il est stochastique (pour des doses absorbées relativement faibles), mais il est bien connu. Ce genre d’affirmations ne doit pas être utilisé comme justification pour faire du banc solaire, ou multiplier des images médicales (avec rayonnements ionisants) sans bonnes raisons. (Les raisons en question sont déterminées par votre médecin spécialiste, bien sûr).

4 Three Mile Island, en Pennsylvanie, États-Unis, a été le lieu d’un accident de centrale nucléaire en 1979. On en parle très peu en Europe, comparé à Tchernobyl ou Fukushima, probablement parce que les conséquences sanitaires ont été négligeables voire carrément absentes. Voir l’article Wikipédia sur le sujet.


5 réflexions sur “La VRAIE raison pour laquelle certains détestent le nucléaire (Brave New Climate)

  1. Bonjour, je découvre votre blog par un lien donné sur Facebook. Je comprends bien votre propos sur la peur, l’évaluation des risques, etc, et mon commentaire n’est pas vraiment en relation avec ce point. Je voulais juste rebondir sur un de vos arguments concernant le nucléaire vs énergies fossiles. Le scénario Négawatt explique comment effectuer la transition énergétique d’ici à 2050 en abandonnant à la fois le nucléaire et les énergies fossiles. Ce scénario a nécessité plusieurs années d’études par un collège d’experts et je pense qu’il mérite qu’on s’y intéresse. Un livre a été écrit sur le sujet. Plus d’information ici : http://www.negawatt.org/association.html
    Bien à vous.

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  4. La confiance n’est pas uniquement un facteur de perception du risque.
    C’est aussi un facteur de risque : si vous confiez des centrales nucléaires à des personnes indignes de confiance, alors il existe un risque supplémentaire qu’elles réagissent mal en cas de problème. Par exemple elles pourraient dissimuler les faits au lieu de prendre des mesures.

    Il y a eu en France un certain nombre de morts à cause de ce facteur de risque. Lors de la catastrophe de Tchernobyl, comme les responsables du nucléaire étaient malhonnêtes et indignes de confiance, ils n’ont pas pris les mesures qui auraient permis de limiter l’exposition des populations aux retombées radioactives (au contraire de l’Allemagne ou l’Italie).

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    • Absolument. Je pense qu’il faut voir ces facteurs comme pouvant fonctionner dans les deux sens, quoiqu’ici l’auteur se focalise sur celui d’une perception exagérée du risque.

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