Non, les femmes ne gagnent pas moins que les hommes (Christina Hoff Sommers)

J’imagine sans peine que le titre seul fera déjà grincer les dents ou lever un sourcil à certains. C’était à peu près ma réaction en cliquant sur le lien vers l’article original. Mais d’abord, le titre est beaucoup plus général que l’article, qui se focalise en fait sur une affirmation bien précise du président Obama lors d’un de ses discours. Et de façon générale, je pense qu’un débat sensible comme celui de l’égalité des sexes doit être alimenté par des faits justes. Il y a encore beaucoup de boulot avant d’arriver à une vraie égalité, mais la situation actuelle doit d’abord être décrite correctement avant de se lancer dans une série d’actions.

Le but de l’article ci-dessous est précisément cela. Si je le partage, ce n’est pas pour nier qu’il existe encore des discriminations envers les femmes, même dans nos pays dits modernes, mais pour susciter la réflexion à partir d’une base rationnelle. J’ignore, à vrai dire, si Sommers, l’auteure de l’article, a totalement raison dans son argumentation, mais elle a moins le mérite de la poser de manière rationnelle, en tentant de tenir compte des facteurs confondants et biais dans le calcul des salaires et de la différence entre salaires.

L’article original, publié le 2 janvier 2014 par Christina Hoff Sommers dans The Daily Beast, est « No, Women Don’t Make Less Money Than Men« .

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C’est la statistique bidon qui revient comme un zombie – et le président l’a ressortie lors de son discours sur l’état de l’Union – mais, non, les femmes ne gagnent pas 77 centimes pour chaque dollar gagné par les hommes.

Le président Obama a répété lors de son discours sur l’état de l’Union une statistique erronée sur la différence de salaire entre sexes. « Aujourd’hui, dit-il, les femmes constituent environ la moitié de notre main-d’oeuvre. Mais elles ne gagnent toujours que 77 centimes pour chaque dollar qu’un homme gagne. C’est une erreur, et en 2014, c’est une honte. »

Ce qui est une erreur et honteux, c’est le Président des États-Unis récitant une caricature de fait, massivement discréditée. La différence de salaire de 23 centimes entre genres est simplement la différence entre les revenus moyens de tous les hommes et toutes les femmes travaillant à temps plein. Cela ne tient pas compte des différences de postes, positions, formations, ancienneté, ou heures prestées par semaine. Lorsque tous ces facteurs pertinents sont pris en considération, l’écart se réduit à environ 5 centimes. Et personne ne sait si ces 5 centimes sont le résultat d’une discrimination ou autre différence subtile, difficile à mesurer, entre travailleurs hommes et femmes. Dans sa rubrique qui vérifie la véracité des faits du discours sur l’état de l’Union, le Washington Post a inclus la mention du président de cette différence salariale dans la liste des affirmations douteuses. « Il y a clairement une différence salariale, mais les différences dans les choix de vie entre hommes et femmes… rendent les comparaisons difficiles. »

Considérons, par exemple, la différence entre hommes et femmes des diplômes universitaires. Voici une liste (PDF) des 10 diplômes qui rapportent le plus, compilée par le Georgetown University Center on Education and the Workforce. Les hommes sont largement majoritaires dans tous sauf un:

  1. Ingénierie pétrolière: 87% d’hommes
  2. Sciences et administration pharmaceutiques: 48% d’hommes
  3. Mathématiques et science informatique: 67% d’hommes
  4. Ingénierie aéronautique: 88% d’hommes
  5. Ingénierie chimique: 72% d’hommes
  6. Ingénierie en électricité: 89% d’hommes
  7. Architecture navale et ingénierie marine: 97% d’hommes
  8. Ingénierie mécanique: 90% d’hommes
  9. Ingénierie métallurgique: 83% d’hommes
  10. Ingénierie des mines: 90% d’hommes

Et voici la liste des 10 diplômes les moins rémunérateurs – où les femmes sont majoritaires dans neuf cas sur dix:

  1. Psychologie: 74% de femmes
  2. Enseignement maternel: 97% de femmes
  3. Théologie et autres vocations religieuses: 34% de femmes
  4. Organisation communautaire et ressources humaines: 81% de femmes
  5. Travail social: 88% de femmes
  6. Art dramatique: 60% de femmes
  7. Arts du studio: 66% de femmes
  8. Logopédie: 94% de femmes
  9. Arts visuels: 77% de femmes
  10. Santé et programmes médicaux: 55% de femmes

Une bonne partie de la différence salariale peut s’expliquer simplement en tenant compte des diplômes. Les éducateurs maternels et travailleurs sociaux peuvent s’attendre à un salaire annuel d’environ 36 000$ et 39 000$ respectivement. Au contraire, un diplôme en ingénierie pétrolière ou métallurgie peut rapporter un salaire médian de 120 000$ et 80 000$. Peu d’éducateurs maternels en formation changeraient d’orientation après avoir appris qu’ils peuvent gagner plus dans la métallurgie ou les mines. Les sexes, vus comme un groupe, sont différents sur certains points. Les femmes, bien plus que les hommes, semblent être attirées par des professions centrées sur l’empathie; les hommes arrivent plus facilement dans des professions peu ou pas orientées vers autrui. Dans leur recherche de bonheur, les hommes et les femmes semblent prendre des chemins différents.

Mais voici le vrai mystère. Ces différences, ainsi que d’autres concernant les préférences en termes d’emploi et les choix travail-famille, ont été largement étudiées ces dernières années et sont documentées dans une masse de recherches empiriques solides. On s’attendrait maintenant à ce que le Président et son équipe soient au courant que cette statistique de différence salariale a été réfutée. Ce n’est pas la première fois que le Washington Post a alerté la Maison Blanche de cette erreur. Pourquoi donc continuer à l’utiliser? Une possibilité est qu’ils aient été coincés par des groupes tels que la National Organization for Women (NOW) ou l’American Association of University Women (AAUW). Dans son rapport de 2007, Behind the Pay Gap, l’AAUW admet que la majeure partie de l’écart salarial s’explique par les choix. Une admission toutefois nuancée: « Les choix personnels des femmes sont tout autant chargés d’inégalités », » explique l’AAUW. L’association parle des femmes « enfermées » dans des jobs « de femmes » dans le domaine de la santé ou de l’éducation. Selon NOW, les stéréotypes sexistes puissants « dirigent » les femmes et les hommes « dans des directions différentes pour leur éducation, leur formation et leur carrière. »

Ces groupes ont-ils remarqué que les femmes américaines sont aujourd’hui parmi les femmes les plus éduquées, autonomes et pleines d’opportunités de l’histoire? Pourquoi ne pas respecter leurs choix? Lors des dernières décennies, on ne sait combien de millions de dollars ont été dépensés pour inciter au recrutement de jeunes femmes dans les métiers d’ingénieur ou de technologie informatique. Ça n’a pas fonctionné. Le pourcentage de diplômes reçus par des femmes dans les domaines des sciences informatiques ou de l’ingénierie a soit stagné soit diminué considérablement depuis 2000. (Selon des données du département de l’éducation, en 2000, les femmes représentaient 19% des diplômes d’ingénieur et 28% pour les sciences informatiques; en 2011, ces chiffres étaient tombés respectivement à 17% et 18%.) Toutes les preuves suggèrent que, quoique les jeunes femmes ont les compétences pour les sciences informatiques ou de l’ingénieur, leurs intérêts se trouvent plutôt ailleurs. Prétendre que ces femmes sont, impuissantes, sous l’emprise de stéréotypes sexistes, et manipulées dans des choix de vies par des forces qui leur échappent, c’est être déconnecté de la réalité – et franchement dénigrant, par-dessus le marché. Si une femme veut être enseignante plutôt que mineur, ou vétérinaire plutôt qu’ingénieur pétrolier, grand bien lui fasse.

La Maison Blanche devrait arrêter d’utiliser les choix des femmes pour échafauder des affirmations sur les inégalités sociales qui sont fausses et empoisonnent le débat sur les genres. Et si le Président est honnêtement persuadé que les différences statistiques de salaire sont le signe d’une odieuse discrimination, il devrait s’occuper de la différence salariale dans sa propre maison. Le staff féminin de la Maison Blanche gagne 88 cents pour chaque dollar gagné par un homme. La Maison Blanche fait-elle la guerre aux femmes?

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2 réflexions sur “Non, les femmes ne gagnent pas moins que les hommes (Christina Hoff Sommers)

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