Arrêtez de m’accuser d’ad hominem, bande d’idiots! (The Logic of Science)

Article original: « Stop accusing me of ad hominem fallacies you stupid idiots« , posté le 25 novembre 2015 sur le blog The Logic of Science.


Les attaques ad hominem font partie des sophismes les plus couramment utilisés, mais ils sont également les moins bien compris. J’observe en effet régulièrement des gens accuser leur interlocuteur d’utiliser un sophisme ad hominem. Je vais donc expliquer comment ce sophisme fonctionne réellement et vous donner quelques outils pour l’identifier. Il y a deux points essentiels à comprendre, que je vais détailler dans le reste de ce billet. Premièrement, pour qu’il y ait un argument ad hominem, il faut qu’il attaque la personne de l’interlocuteur. Deuxièmement, toutes les attaques ad hominem ne sont pas nécessairement des sophismes ad hominem.

Définir « ad hominem »

En latin, « ad hominem » signifie « à l’homme » ou « à la personne », et a lieu à chaque fois que vous vous attaquez à votre interlocuteur. Ce point est extrêmement important. Pour qu’un argument soit ad hominem, il doit verbalement attaquer l’interlocuteur. Dans ce sens, des attaques contre l’intelligence du personne, ou sa race, son genre, son apparence, sa morale, etc. sont toutes à considérer comme de l’ad hominem. Mais des attaques contre les arguments donnés par la personne ne sont pas de l’ad hominem (même si elles peuvent être écrites dans un style agressif). Cela peut sembler simple, et d’ailleurs ça l’est, mais il semble pourtant que les gens ont beaucoup de mal à intégrer ce concept et prennent des critiques contre leurs arguments de façon personnelle. Par exemple, dans un récent débat avec quelqu’un qui s’oppose aux OGM, je lui ai demandé de me montrer ses sources, ce à quoi il répondit par un lien vers un article d’opinion écrit pour site web de news. Quand je lui ai expliqué que ce lien n’est pas une source légitime d’information scientifique et n’était donc pas pertinent dans cette discussion, il rétorqua en m’accusant de commettre un sophisme ad hominem.

David G. McAfee. Traduction: "Il est important de se rappeler qu'il n'y a rien de grossier ou offensif à simplement demander "Quelles sont vos sources?" ou "Avez-vous des preuves?"

« Il est important de se rappeler qu’il n’y a rien de grossier ou offensif à simplement demander “Quelles sont vos sources?” ou “Avez-vous des preuves?” » David G. McAfee

C’est un cas que je rencontre souvent. J’essaie autant que possible d’éviter les attaques ad hominem dans ce blog, et vous ne me verrez quasiment jamais traiter quelqu’un d’idiot ou de crétin. Néanmoins, je suis constamment accusé de sophismes ad hominem, et je vois le même phénomène se dérouler sur d’autres pages pro-science également. Laissez-moi donc être clair sur ce point: mettre au jour les erreurs dans les arguments de son interlocuteur, demander ses sources, critiquer ses sources, etc. n’est pas de l’ad hominem. Vous ne pouvez pas accuser quelqu’un de recourir à un sophisme ad hominem simplement parce qu’il/elle n’est pas d’accord avec vous. À moins qu’il/elle ne s’attaque à vous-même, ou à l’auteur de vos sources, il ne s’agit pas d’ad hominem.

"Tout le monde a droit à sa propre opinion, mais pas ses propres faits."

« Tout le monde a droit à sa propre opinion, mais pas ses propres faits. »

Tant que nous y sommes, le principe est le même pour les accusations de « brutaliser », « intimider », etc. Je ne compte plus les fois où j’ai été accusé de harcèlement pour avoir simplement demandé plusieurs fois des sources et explicité que je n’en avais cure de leur opinion personnelle. Demander à quelqu’un de défendre son affirmation par des faits et de la logique n’est ni impoli ni du harcèlement. Ne soyez donc pas si susceptibles, par pitié. De plus, vous n’avez pas le droit de dire/écrire ce que vous voulez tout en restant protégé des critiques ou des moqueries. Oui, vous avez le droit d’avoir votre propre opinion, et oui, nous devrions nous montrer tous tolérants face aux croyances des autres, mais quand vous faites une affirmation factuelle, vous n’exprimez pas une opinion ou une croyance, et vous devez pouvoir répondre de l’exactitude de l’affirmation. Imaginez à quel point ce serait ridicule si, par exemple, quelqu’un qui ne croit pas en la gravité s’irrite parce que d’autres raillent ses idées loufoques. Et lorsque vous tenez des propos factuellement incorrects à propos des vaccins, de l’évolution, du changement climatique, etc. vous n’exprimez pas votre opinion, vous avez juste tort, et personne ne doit être particulièrement tolérant de vos erreurs.

Les attaques ad hominem ne sont pas forcément des sophismes

Après avoir établi ce qu’est un ad hominem, il est important de discuter de ce qui fait de l’ad hominem un sophisme. Il y a trois utilisations de base de l’attaque ad hominem, et une seule est véritablement fallacieuse. La première est l’insulte pour l’insulte, et le titre de ce billet est censé en être un exemple sarcastique. C’est un ad hominem, très clairement de mauvais goût (du moins, ce le serait si ce n’était pas sarcastique), mais ce n’est pas en soi un argument fallacieux parce que ce n’est pas un argument du tout. Autrement dit, simplement insulter quelqu’un n’est pas nécessairement un sophisme. Pour qu’il s’agisse d’un sophisme ad hominem, votre attaque sur la personne doit servir d’attaque sur leurs arguments. Dans le cas de mon titre sarcastique, j’ai attiré votre attention en usant de langage hostile, puis ai expliqué la logique d’utilisation de ces arguments; je n’ai donc pas commis de sophisme ad hominem (en d’autres termes, mon insulte était juste une insulte, pas un argument).

On en vient donc à la seconde utilisation des arguments ad hominem, et c’est celle-ci qui pose réellement problème. C’est lorsqu’on vous présente un argument, et que vous répondez en critiquant la personne qui argumente plutôt que l’argument lui-même. Par exemple, si quelqu’un écoute un argument puis répond par « il faudrait un crétin fini pour croire à ça », alors il a commis un sophisme ad hominem, parce qu’il a attaqué la personne présentant l’argument sans même examiner l’argument. Si par contre il avait dit, « il faudrait être un crétin fini pour croire à ça parce que cela fait appel aux arguments fallacieux X (insérez le nom des sophismes) et a été discrédité par les études Y (insérez les références des études) », alors il n’y a pas eu de sophisme ad hominem. Le commentaire est certainement ad hominem, et de mauvais goût, mais ce n’est pas un sophisme parce que l’insulte ne fait pas partie de l’argument. L’argument a été présenté de façon logique et permettait d’expliquer les problèmes dans l’opinion de l’interlocuteur, mais a été accolé à une insulte pour des raisons douteuses. Pour qu’il s’agisse d’un sophisme, l’insulte doit cependant faire partie de l’argument.

Ironiquement, je constate que de nombreux anti-science recourent à des sophismes ad hominem alors qu’ils accusent allègrement d’autres d’en user. Par exemple, l’accusation courante de « shill »1 est presque systématiquement un sophisme ad hominem. Je me fais accuser de shill pour Big Pharma ou Big Agro presque quotidiennement, alors qu’en réalité je ne reçois aucunement de l’argent des firmes. Je soutiens la science et non les grosses firmes (de façon amusante, personne ne s’émeut du fait que je m’oppose fortement à Big Pétrole). Ça n’empêche pas certains de répondre constamment dans mes billets avec des commentaires comme « Quel shill » ou « Combien Big Pharma vous a payé pour écrire ça? ». Ces réponses sont des sophismes ad hominem, parce que les personnes qui y recourent ne font pas suivre l’attaque par des critiques logiques de mes arguments. Ils ne font que m’accuser d’être un shill puis s’en vont triomphants en déclarant leur victoire à leurs compères anti-science. Autrement dit, l’entièreté de leur argument peut être résumée en « vous avez tort parce que vous êtes un shill ». Cependant, à moins qu’il ne puissent fournir des preuves que je suis effectivement payé par Big Firme (ce qu’ils ne pourraient pas faire, puisque ce n’est pas le cas), cet « argument » est fallacieux parce qu’il m’attaque personnellement au lieu de mes arguments.

Ceci m’amène à mon dernier point, la troisième utilisation d’ad hominem. Il existe des situations dans lesquelles il est possible d’attaquer une personne au lieu de ses arguments sans que ce soit fallacieux. Par exemple, imaginons un scénario de cour de justice, avec un témoin clé qui prétend avoir identifié le meurtrier, et où la défense répond en fournissant des preuves que le témoin en question est un menteur pathologique. L’argument de la défense est ad hominem parce qu’il attaque la personne et non ses arguments, mais l’attaque n’est pas fallacieuse car il y a des très bonnes raisons de mettre en doute la crédibilité du témoin. Si le témoin est effectivement un menteur pathologique, alors il ne peut être digne de confiance et son témoignage doit être considéré comme non pertinent. Pour être clair, la défense doit vraiment fournir des preuves solides de la mythomanie du témoin pour que leur argument soit recevable. S’ils ne peuvent pas le faire, alors leur argument devient à la fois un sophisme ad hominem et un sophisme ad hoc (tout comme l’accusation de shill).

De la même façon, argumenter que des gens comme Vani Harri (la « Food Babe ») Sherri Tenpenny, Mercola, etc. ne sont pas dignes de confiance en raison des affirmations grotesques qu’ils ont pu commettre est bien ad hominem, mais ce n’est pas fallacieux parce que de telles affirmations soulèvent de sérieux et légitimes doutes sur leur crédibilité. Par exemple, Vani Hari a affirmé que l’eau cristallise lorsqu’on répète à proximité les mots « Satan » ou « Hitler », et elle s’inquiéta également que l’air dans les avions ne contient pas 100% d’oxygène (l’air qu’on respire est majoritairement de l’azote). En faisant de telles affirmations, elle a démontré avoir un niveau terrifiant d’ignorance et d’incompétence scientifique, et a rendu complètement clair le fait qu’elle ne sait pas de quoi elle parle. Donc lorsque quelqu’un dit qu’il ne faut pas lui faire confiance parce qu’elle a souvent été complètement à côté de la plaque, il s’agit d’une attaque ad hominem, mais pas nécessairement d’un sophisme, parce que sa crédibilité est véritablement en question. Pour être clair, il faut néanmoins se montrer prudent en utilisant d’un tel argument. Le fait que ses idées aient été fausses dans le passé, parfois à un point ridicule, signifie bien qu’on ne peut lui faire confiance, mais pas automatiquement qu’elle a tort. En d’autres termes, si vous dites « elle a tort à propos de X parce qu’elle a souvent eu tort dans le passé », alors vous avez usé d’un argument logiquement invalide parce qu’il est toujours possible (même si peu probable) qu’elle ait raison à propos de X. Vous pouvez par contre dire « on ne peut pas lui faire confiance à propos de X et elle ne peut pas être utilisée comme source parce qu’elle a souvent eu tort dans le passé », et il n’y a rien de fallacieux là-dedans.

Conclusion

En résumé, un argument est ad hominem s’il attaque quelqu’un. Expliquer les problèmes d’un argument ou demander à quelqu’un de fournir des sources ne compte pas comme un ad hominem, même si l’explication est donnée dans un langage hostile. De plus, même lorsqu’un argument est ad hominem, il n’est fallacieux que s’il attaque la personne au lieu de ses arguments, et s’il ne se limite pas uniquement à soulever des doutes légitimes et pertinents sur la crédibilité de la personne. Pour tester si un argument est un sophisme ad hominem, il faut se poser les questions suivantes:

  1. L’argument attaque-t-il quelqu’un?
  2. Si la réponse à #1 est oui, l’attaque sert-elle d’argument?
  3. Si la réponse à #2 est oui, l’attaque soulève-t-elle des doutes légitimes et pertinents sur la crédibilité de la personne?

À moins que vous n’arriviez jusqu’à la question 3 et que sa réponse soit non, un sophisme ad hominem n’a pas été commis.


1 « Shill » est le terme anglais que l’on pourrait traduire par « porte-parole » mais en perdant la connotation péjorative qui y est habituellement associée. Un shill est quelqu’un qui aurait été acheté par les firmes et défend des arguments dans la même ligne que certaines firmes prétendument parce qu’ils recevraient de l’argent, plutôt que par une recherche honnête et indépendante.


12 réflexions sur “Arrêtez de m’accuser d’ad hominem, bande d’idiots! (The Logic of Science)

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  5. Dans le cas de personnes qui travaillent dans des organismes « publics » (enfin souvent des drôles de mix public-privé comme c’est la mode maintenant) et qui ont un intérêt concernant leur carrière (voire bien plus) à ce que se propage une technologie que des « partenaires » industriels de la recherche sont intéressés d’imposer, et qu’il arrive qu’on accuse ces chercheurs (souvent plutôt une activité d’ingénieur agrémentée de recherches) d’abuser de leur position « publique » (genre untel du CNRS, INRA, INSERM, etc. avance que…) pour donner une caution discutable à cette opération technologique « privée », dont les effets globaux de moyen/long terme (après que les premiers intéressés ont obtenu leur « dû ») ou à grande échelle risqueraient d’être pires que mieux, on met ça dans quelle case?

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    • Aucune idée. Mais le contexte est très différent. Celui de l’article s’intéresse plutôt à la valeur de vérité d’une affirmation, qui ne dépend pas de la personne qui affirme mais bien des preuves qui la soutiennent (avec toutes les subtilités décrites dans l’article). Celui que vous mettez en avant est plutôt politique ou question de société: faut-il utiliser ou non telle ou telle technologie? Notez que dans certains cas, la question peut être approchée également sous l’angle de la valeur de vérité, parce qu’il existe par exemple des données démontrant que ladite technologie est plus performante ou permet de faire des économies ou encore est plus sûre que ses prédécesseurs/concurrents.
      Dans ce cas, on retombe dans l’objet de l’article: prétendre que quelque chose est faux sous prétexte que la personne qui l’affirme a des conflits d’intérêt n’est pas suffisant. Je pense que c’est une bonne chose d’être un peu plus prudent et rigoureux, et d’aller vérifier les sources lorsqu’il y a effectivement conflit d’intérêt, mais in fine, ce sont les données (et la robustesse de la méthodologie qui les a produites) qui décident.
      Et en l’absence de données, ou en présence de données de faible qualité, prétendre affirmer quoi que ce soit avec certitude est tout aussi répréhensible que de recourir à l’ad hominem.

      Sur un autre sujet, un point très important que vous soulevez indirectement, c’est l’idée qu’un conflit d’intérêt n’est pas uniquement financier. Il est aussi lié aux questions de prestige et de reconnaissance (scientifique, si on parle de science).

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      • Certes, j’avais en tête des exemples d’abus de position d’autorité sans sources particulièrement convaicantes, où des technotartuffes s’offusquaient en criant ad hominem qu’on leur signale leur position « embedded » (ah quel joli mot… vous savez, comme ces gentils journalistes « indépendants » intégrés à l’armée pendant la Juste Guerre de Libération Démocratique de l’Irak®). Je vous fais grâce de ma liste. Mais je suppose que avez la vôtre… 😀
        Votre ton est moins mercenaire en commentaire que d’autres sceptiques, déjà merci.

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        • De manière générale, je pense qu’une bonne contre-argumentation face à une attaque ad hominem non légitime ne consiste pas seulement à pointer du doigt le sophisme qu’est l’ad hominem mais à montrer que sa position est effectivement fondée sur les preuves. C’est certainement très important de pointer du doigt des arguments erronés, mais ce serait commettre soi-même un autre argument erroné de dire que quelqu’un a tort parce qu’il a utilisé des sophismes. Ce serait commettre le « fallacy fallacy », ou le « sophisme du sophisme ».
          Il faut toujours profiter de la dénonciation des sophismes pour accompagner l’argumentation d’une position fondée sur les faits et les preuves.

          Quant au ton mercenaire, je regrette que certains auto-proclamés sceptiques fassent parfois démonstration de certitudes là où une position de doute ou de prudence est de mise, ou bien de condescendance face à certains qui sont mal informés. Mais il faut parfois comprendre que c’est inévitable. D’une part, certains sujets sont de vrais zombies et réapparaissent régulièrement alors qu’ils ont été déjà démolis à chaque fois. Non seulement on connait la réponse mais en plus on sait qu’elle est extrêmement solide (exemple: l’homéopathie). C’est exaspérant à la longue et même si le fond est tout à fait rigoureux, la forme peut déraper un peu. D’autre part, certains sont vraiment immunisés contre la pensée critique, et c’est très difficile de conserver à tout moment un calme olympien face à une ignorance profonde et surtout un manque de volonté flagrant d’accepter un minimum d’information.
          Le standard est donc une position fondée sur les preuves, et une forme basée sur la courtoisie et le respect. Mais quoique le scepticisme est probablement la position philosophique la plus « propre », elle est appliquée par des êtres humains. Et les êtres humains, c’est pas toujours parfait…

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    • Qu’il y ait des abus ou des influences imposées en haut lieux sur des cas sensibles, c’est probable et possible. Maintenant, pour avoir collaboré avec plusieurs des organismes cités, je peux affirmer qu’ils ne sont ni contrôlés, ni menacés, ni récompensés selon que les résultats aient dans le sens des industriels.
      Le lobbying n’est pas forcément agressif ou menaçant, il a parfois juste pour mission de mettre la lumière sur des intérêts et des demandes de l’industrie vis à vis de la science.
      Une belle étude psychologique a été réalisée sur les théories du complot imaginant que tous les scientifiques de telle ou telle organisation sont tenus au secret. Dans la plupart des cas, vu le nombre de personnes impliquées et la probabilité de fuite, la durée moyenne dans le meilleurs des cas à 3 ou 4 années au grand maximum…
      (David Robert Grimes. On the Viability of Conspiratorial Beliefs. PLOS ONE, 2016 ; 11 (1) : e0147905)
      Je pense que depuis, les «  » »dangers cachés » » » de l’aspartame, des ondes et des OGM auraient déjà filtrés

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