C’est un fait que les femmes gagnent moins que les hommes. Arrêtez de discuter. (Huffington Post)

Cet article est une réponse directe à l’article précédent, Non, les femmes ne gagnent pas moins que les hommes, de Christina Hoff Sommers. Comme je l’avais prévu, cet article a suscité des débats sur le groupe Zététique de Facebook où je l’ai notamment partagé, mais des débats extrêmement constructifs, nettement plus dépassionnés que les discussions qu’avait suscitées mon article sur le nucléaire (qui, soit dit en passant, n’était en réalité pas sur le nucléaire mais sur la perception des risques et les facteurs qui modulaient cette perception; le nucléaire n’était cité qu’à titre démonstratif). Les intervenants dans le débat ont avancé des arguments tout à fait pertinents et partagé des liens intéressants, et je me suis dit qu’il serait utile de faire une suite.

Lorsque j’ai traduit l’article précédent, j’avais d’abord pensé me lancer dans un long commentaire pour expliquer pourquoi j’avais choisi cet article (je craignais d’être taxé de machiste) et faire ma propre analyse et développer mes propres arguments. Puis je me suis rappelé que j’étais fainéant et qu’il y a presque toujours quelqu’un d’autre qui a eu les mêmes idées que moi et qu’il « suffirait » donc de les trouver et les partager. Le débat qui a eu lieu sur le groupe Zététique a donc permis cela, et j’ai choisi donc comme première réponse un article du Huffington Post. Notez qu’en lisant l’article de Sommers, j’avais déjà trouvé une réponse directe grâce à l’excellent plugin rbutr (malheureusement peu utilisé dans le monde francophone). Mais l’article de réponse m’a peu impressionné; il faisait une lecture de Sommers très orientée et amenait peu d’arguments factuels. Celui du Huffington Post étant supérieur (mais certainement pas exempt de critiques non plus), c’est celui-là qui sera traduit. Il a été posté le 2 mai 2014 et écrit par Jullian Berman: « It’s a Fact that Women Get Paid Less Than Men. Stop Debating. »


Les fact-checkers1 se sont empressés de bondir sur le président Obama pour avoir dit que les femmes gagnaient 77 centimes pour chaque dollar qu’un homme gagne. Cette statistique, utilisée comme cri de ralliement lors du discours sur l’état de l’Union la semaine passée, est trompeuse, disent les critiques.

Pourtant, quand il s’agit de sexe et de salaire, ce sont ces critiques qui sont trompeurs.

The Daily Beast a publié un article particulièrement décriant intitulé « Non, les femmes ne gagnent pas moins que les hommes » de Christina Hoff Sommers, une critique du mouvement féministe au 20e siècle et professeur au libéral American Enterprise Institute. Sommers dit que lorsqu’on compare les hommes et les femmes ayant le même diplôme et les mêmes fonctions, les femmes gagnent « seulement » 5 centimes de moins que les hommes.

Sommers écrit (sans en prendre conscience) la phrase suivante: « personne ne sait si ces 5 centimes sont le résultat d’une discrimination ou autre différence subtile, difficile à mesurer, entre travailleurs hommes et femmes. » Que pourrait bien être cette « différence subtile, difficile à mesurer » si ce n’est du sexisme institutionnel. Difficile à dire. Sommers ne s’arrête pas là et prétend que les femmes choisissent des professions à bas revenus.

Sommers n’est pas la première à argumenter que les femmes « choisissent » des métiers qui rémunèrent moins bien. Comme d’autres avant elle, elle ne creuse pas plus loin pour s’interroger sur les circonstances sociales et économiques qui dirigent ces choix.

En bref, on en arrive à ceci: les femmes gagnent moins bien que les hommes, peu importe sous quel angle vous examinez le problème (Sommers elle-même le concède) et la différence est loin d’être un simple choix ou une « subtile différence ».

Les femmes représentent deux tiers des travailleurs à faibles revenus, mais seulement 14.6% des positions les plus rémunératrices des entreprises listées dans Fortune 500, selon Catalyst, une organisation de recherche centrée sur la promotion des femmes au travail.

Voici comment nous en sommes arrivés là:

Les milieux bien payés, traditionnellement dominés par des hommes, tels l’ingénierie ou l’informatique, tendent à être des endroits de travail hostiles pour les femmes. L’absence de femmes dans l’industrie technologique et le sexisme ambiant à la Silicon Valley ont fréquemment été le sujet de débats intenses.

La chemin qui s’éloigne de ces milieux bien payés diverge dès l’école. Peu de femmes se lancent dans les sciences informatiques ou d’ingénieur à cause des habitudes sexistes qui commencent déjà en enseignement supérieur. Seulement 0.3% des filles arrivent à l’université avec l’intention de décrocher un diplôme en sciences informatiques, selon une lettre ouverte du Chronicle of Higher Education écrite par des experts des domaines des sciences et de l’ingénierie. C’est parce que, avant même d’arriver à l’université, les filles sont bombardées de messages des médias qui font passer l’idée que travailler avec des ordinateurs est un truc de geeks mâles, que c’est emmerdant et que ça n’apporte rien à la société. Ces stéréotypes sont particulièrement difficiles à contrer quand les écoles ne font aucun effort pour informer les filles de l’intérêt à choisir une carrière dans un domaine technique et quand il y a peu de femmes scientifiques ou ingénieurs pour les inspirer dans un choix de carrière.

Les domaines qui attirent habituellement plus les femmes, tels que l’enseignement, l’aide sociale et autres professions orientées vers le social, sont typiquement moins rémunérateurs – en partie parce qu’ils sont considérés comme « des métiers de femmes ». Prenez l’histoire du métier de secrétaire, qui est le job idéal pour les femmes depuis les années 50. Lorsque les secrétaires firent leur apparition pendant la révolution industrielle, le job était largement dominé par les hommes. Quand les firmes prirent conscience qu’elles pouvaient payer moins cher des femmes pour faire le même boulot, le domaine fut alors dominé par les femmes, selon CNNMoney. Comme l’écrit Hanna Rosin, auteure de « The End of Men », dans un article de Slate datant du mois d’août et qui critique la statistique des 77 centimes par dollar, « Sont-ce les femmes qui choisissent des métiers qui paient moins bien, ou est-ce plutôt notre pays qui valorise moins les professions féminines? »

Beaucoup de femmes doivent prendre des arrêts de travail – en partie à cause d’un manque de soutien des politiques publiques. Les femmes qui ont des enfants prennent habituellement des pauses-carrières – pour élever les enfants ou s’occuper de membres de la famille plus âgés – ce qui les empêche de rester à jour par rapport à leurs collègues masculins et donc de pouvoir avancer dans leur carrière.

Les décisions politiques comme des congés parentaux payés et les allocations familiales pourraient aider à diminuer cette « pénalité de maman ». Une étude de 2012 du programme des congés parentaux de Californie montra que cette initiative pourrait avoir augmenté les revenus et les heures de travail des femmes de 9%. Le programme californien est peu répandu; les USA sont le seul pays industrialisé sans congé de maternité payé.

Même lorsque les femmes ont pris leurs décisions pour faire tout exactement comme les hommes, elles restent malgré tout à la traîne. En tenant compte des facteurs confondants comme le niveau d’études, le nombre d’heures prestées et le milieu de travail, les femmes gagnent environ 5% de moins que leurs collègues masculins, selon une analyse de 2011 du St. Louis Federal Reserve. Cela revient à 35$ par semaine, 1750$ par an ou encore 52500$ sur une carrière de 30 ans pour un travailleur à temps plein. Plus loin dans leur carrière, la différence salariale s’agrandit encore, d’après une recherche menée par des étudiants MBA de l’Université de Chicago.

Pour résumer: les femmes gagnent moins que les hommes. Comme Obama l’a dit, « C’est une erreur, et en 2014, c’est une honte. »


1 « Fact-checker », qui se traduit littéralement par « vérificateur de fait », est parfois traduit en « contrôleur qualité », mais qui ne rend pas le concept correctement. J’ai donc conservé, l’anglicisme; mes excuses aux puristes.


3 réflexions sur “C’est un fait que les femmes gagnent moins que les hommes. Arrêtez de discuter. (Huffington Post)

    • Merci pour cette vidéo. Il y a quelques stats que je ne connaissais pas dedans.

      Par contre, j’ai l’impression d’une certaine « accusation » dans la façon de me proposer la vidéo, comme si je n’avais pas beaucoup creusé la question. Donc pour être certain de bien tout replacer en contexte, quelques explications.
      D’abord cet article est un article de réponse à un que j’ai traduit qqs jours avant: https://sceptom.wordpress.com/2014/09/30/non-les-femmes-ne-gagnent-pas-moins-que-les-hommes-christina-hoff-sommers/ dans lequel Sommers détruit la stat des 77 cents/dollar qui est effectivement ridicule. Tout comme le type de la vidéo, Sommers explique la différence salariale surtout par les différences de choix de carrière. Quand on contrôle l’analyse de la différence salariale pour certains facteurs confondants, l’écart se réduit à environ 5 centimes par dollar. Sommers n’exclut pas la possibilité de facteurs confondants supplémentaires mais subtils et difficiles à contrôler.
      L’article de réponse, de Julian Bergman, est en fait d’accord sur les chiffres, mais prend plutôt la position que 1. les choix eux-mêmes sous soumis à une certaine discrimination sexiste en raison de plusieurs facteurs (clichés sexistes durant l’adolescence, manque de modèles féminins, environnements de travail hostiles…) et 2. considère que la différence résiduelle de 5 centimes est précisément le résultat d’une discrimination.

      Je discute de ces deux articles avec Jean-Michel Abrassart sur son podcast Scepticisme scientifique. Et il vient justement de publier l’épisode que tu pourras trouver ici: http://pangolia.com/blog/?p=1792

      Bonne écoute!

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      • J’ai en effet réalisé trop tard que c’était une traduction, navré pour « l’accusation ».
        Avec mon expérience du milieu du travail (dont 15 ans comme employeur), la discrimination dénoncée est un fantasme, Ce qui importe, c’est le résultat, pas le genre, le diamètre ou la couleur de l’employé.
        Je suis en train d’écouter le podcast.
        Merci.

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