De retour dans les news – Téléphones portables et cancer (Cancer Research UK)

Le sujet des téléphones portables et de la santé, en particulier en ce qui concerne le cancer, fait régulièrement le tour des médias, mais ne semble que trop rarement arriver à représenter fidèlement ce que la recherche scientifique a à dire sur la question. Comme si ce n’était pas suffisant, on trouve dans la littérature scientifique des études dont la qualité méthodologique est trop faible pour tirer des conclusions, mais qui font néanmoins le tour en raison de leur sensationnalisme. J’avais déjà traduit un article sur ce blog sur les ondes GSM et les fourmis, plus précisément sur une critique d’une étude faite dans mon alma mater, l’Université Libre de Bruxelles (mais bon, la loyauté passe nécessairement après la vérité). Une autre critique avait été également traduite sur un sujet similaire, la fameuse étude des écolières danoises sur le WiFi et le cresson. Un bon exemple de mauvaise science.

L’article d’aujourd’hui concerne directement l’utilisation du téléphone portable et le risque de cancer. Sur la page Facebook Zététique a été partagé un article du site levif.be qui parlait d’une étude tout récemment publiée sur le sujet, bien entendu avec une totale absence d’esprit critique. Je n’ai pu avoir accès qu’à l’abstract de l’étude, mais rien que l’abstract prête au traditionnel lever mono-sourcil du sceptique (voyez par exemple le logo de DoubtfulNews). On y lit notamment que les risques seraient plus élevés en milieu urbain;

or, c’est précisément en milieu urbain que les téléphones portables ont besoin de moins de puissance d’émission et sont donc moins rayonnants qu’en milieu rural. On y lit aussi que les données de l’étude sont cohérentes avec un possible lien entre utilisation intensive du portable et risque accru de tumeurs cérébrales mis en évidence dans des recherches précédentes. Sauf que l’état actuel de la recherche ne montre pas du tout cela (les détails dans la traduction ci-dessous), du moins lorsqu’on ne fait pas une sélection partisane des études qui nous arrangent. L’accès à l’article complet coûtant un peu d’argent, je me suis dit que j’allais trouver sur le net l’un ou l’autre article qui examine la chose d’un oeil plus critique que les médias traditionnels. Il y en a au moins un, en français, pas mal fait; j’en ai trouvé un autre en anglais, qui fait donc l’objet d’une traduction pour ce blog.

L’article original est « Back in the news – mobile phones and cancer« , publié le 14 mai 2014 sur le blog scientifique du Cancer Research UK.

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MobilePhones-hero

Les unes d’hier qui suggèrent que l’utilisation intensive du téléphone portable « pourraient » causer le cancer sont trompeuses et ne reflètent pas ce que les preuves scientifiques disent réellement.

Nous avons déjà discuté de cette problématique avec un grand nombre de preuves sur les portables et le cancer. De façon générale, ces preuves montrent qu’il est peu probable que les portables causent des tumeurs cérébrales (ou tout autre type de cancer).

Il est important de considérer l’ensemble des preuves, et non des études individuelles, d’autant plus que beaucoup d’entre elles arrivent à des conclusions différentes. Et beaucoup de ces études ont des problèmes, ce qui signifie que leurs résultats ne peuvent pas être tout à fait fiables.

L’étude apparue hier ne fait pas exception. Jetons un oeil à ce qu’elle a trouvé, pourquoi nous ne sommes pas convaincus par ses résultats, et comment les intégrer dans le cadre plus large de nos connaissances.

Nouvelle étude

La dernière étude, menée en France et publiée dans le journal Occupational and Environmental Medicine, est une étude de type cas-témoins. Ce genre d’études compare un groupe de gens malades avec un groupe similaire de gens sains, avec des informations sur leur vie afin de trouver d’éventuelles corrélations.

Cette nouvelle étude a regardé à deux types spécifiques de tumeurs cérébrales – gliome et méningiome. Point crucial, les scientifiques n’ont trouvé aucun lien général entre le fait d’utiliser un portable et le fait de développer l’un de ces types de tumeur. Ils ont cependant trouvé un lien possible dans un groupe restreint de gens qui ont dit qu’ils étaient les plus grands utilisateurs de leur téléphone. D’où la une.

Mais avant de se demander où se situe ce résultat par rapport aux recherches existantes, il est important de noter qu’il y avait un nombre de problèmes avec l’étude:

  • Il était demandé aux personnes de se rappeler des informations détaillées sur leur utilisation passée de leur portable. Les « contrôles » – des personnes saines choisies pour l’étude parce qu’elles étaient relativement similaire (par exemple selon l’âge ou le sexe) aux patients inclus – devaient se souvenir d’une période d’une année plus longue que les personnes avec des tumeurs. Et les souvenirs des patients pouvaient être affectées par leurs croyances sur le fait que les téléphones portables ont été responsables de leur tumeur, voire par leur tumeur même.
  • Pour près d’un cinquième des personnes diagnostiquées avec des tumeurs – ceux qui étaient trop malades ou qui étaient morts, un questionnaire simplifié a été rempli en leur nom par des proches.
  • L’étude est relativement petite: le groupe « haute utilisation » contenait environ une vingtaine seulement de cas de gliome et une dizaine de cas de méningiome. Bien que certains résultats soient « statistiquement significatifs » (autrement dit, difficilement explicable par le hasard uniquement), les chercheurs ne semblent pas avoir corrigé pour le nombre de tests statistiques (c’est important puisque plus vous faites de tests statistiques dans une étude, plus vous avez de chances d’obtenir par hasard un test « significatif »).
  • L’étude a été menée il y a plusieurs années – les tumeurs ont été diagnostiquées entre 2004 et 2006. Les tumeurs cérébrales prennent généralement du temps à se développer. Étant donné les types de téléphones et la façon dont ils fonctionnaient à l’époque, on ne peut pas nécessairement transposer ces résultats avec une technologie plus moderne.

Que montrent les autres recherches?

En 2011, l’International Agency for Research on Cancer (IARC) a conclu que les preuves concernant les téléphones portables et les gliomes étaient « limitées », tout comme dans le cas d’un autre type de tumeur cérébrale (neurome acoustique), et que pour d’autres types de cancer, il n’y avait pas suffisamment de preuves de qualité pour parvenir à une conclusion tout court (Il est cependant intéressant de noter que, comme attendu dans un sujet aussi controversé, une minorité du panel d’experts arguait que les preuves concernant les gliomes et neuromes acoustiques étaient également inadéquates pour parvenir à une conclusion.)

Comment sont-ils arrivés à cette conclusion? La décision de l’IARC reposait sur deux études, l’une appelée INTERPHONE (une étude internationale très large) et une autre grande étude indépendante suédoise. Nous avons déjà résumé ces résultats dans un post précédent, et nous n’allons pas les répéter ici. Mais il est intéressant de remarquer que ces deux études ont suivi le même schéma (cas-témoins) que la nouvelle étude française – en étudiant rétrospectivement ce que les gens se souviennent avoir fait. Une méthode bien plus fiable serait une étude de cohorte, dans laquelle on demande aux gens les détails de leur utilisation actuelle du portable, puis on suit ces personnes dans le temps pour voir ce qui leur arrive.

Depuis le rapport de l’IARC, deux études notables de cohorte ont été publiées. La première, une étude danoise publiée juste trop tard pour être incluse dans le rapport de l’IARC. n’a trouvé aucun lien avec aucun type de tumeur cérébral, a fortiori non plus avec les gliomes et les méningiomes en particulier. L’étude était basée sur les données des fournisseurs, ce qui pourrait en théorie introduire des erreurs si les gens ont partagé leur téléphone portable ou utilisé le téléphone de quelqu’un d’autre ou un téléphone d’entreprise.

Puis l’été dernier, la plus large étude jusqu’à présent – l’étude britannique sur un million de femmes – n’a trouvé aucun lien entre les téléphones portables et tout type de cancer, tout type de tumeur cérébrale, y compris les gliomes et méningiomes en particulier.

Il y a toutefois une exception – chez les femmes utilisant le plus leur téléphone, l’étude a montré une légère augmentation du risque de développer un type rare de tumeur cérébrale appelée neurome acoustique.

Mais une mise à jour de ces recherches, incluant des données encore plus récentes ont montré que ce lien n’existait pas, pas plus que pour tout autre type de tumeur cérébral. Cette étude est très large et bien menée, mais comporte toujours certaines limitations – une des plus grandes étant qu’elle était limitée aux femmes et qu’il y avait une opportunité limitée de mettre à jour l’utilisation de leur téléphone après le début de l’étude1.

Par ailleurs, l’étude de cohorte danoise n’a trouvé aucune augmentation du risque de neuromes acoustiques, même chez les personnes ayant la plus forte utilisation du portable. Même son de cloche dans une étude de cohorte menée en Suède et publiée plus tôt cette année. Cette étude suédoise a mis en avant des preuves intéressantes qui suggèrent que l’utilisation d’un téléphone portable pourrait pousser les gens ayant un neurome acoustique à se faire diagnostiquer plus souvent, ce qui pourrait expliquer des résultats jusqu’à présent ambivalents.

Et ensuite?

Dans l’état actuel de nos connaissances, il semble peu plausible que l’utilisation des téléphones portables cause des tumeurs cérébrales, d’autant plus que la recherche en laboratoire n’a pas trouvé de mécanisme biologique qui pourrait l’expliquer. Et les taux des tumeurs cérébrales en question n’ont pas augmenté malgré une explosion de l’utilisation des portables2.

Il n’y a pas suffisamment de preuves de qualité pour pouvoir affirmer avec certitude qu’il n’y a absolument aucun risque.

C’est un cliché courant de dire que davantage de recherche est nécessaire, mais dans ce cas précis, c’est la seule façon de résoudre la question avec certitude. Certains membres clés du panel d’experts de l’IARC ont récemment publié leur avis sur la direction à prendre ensuite, notamment des recommandations pour ces recherches qu’il reste à faire.

En mettant l’accent sur la recherche de haute qualité, en tirant les leçons des limitations de précédentes études, et par la capacité à rassembler des données de plus long terme au fil du temps, nous arriverons à un moment donné à une compréhension claire de tout risque éventuel posé par l’utilisation des téléphones portables.

Il est important de se rappeler que le risque global de développer une tumeur cérébrale est faible – moins de 10 000 personnes sont diagnostiquées avec une forme de tumeur du cerveau ou du système nerveux central chaque année au Royaume-Uni, sur une population totale de plus de 63 millions3.

Mais lorsque les médias rapportent de légères augmentations des risques qui sont déjà légers à la base pour faire penser que les gens qui font quelque chose de particulièrement banal sont « particulièrement enclins » à développer une maladie – tel que rapporté par un journal – ce n’est pas uniquement une totale manipulation de ce qu’une étude dit ou veut dire. Ça fait peur aux gens.

Ça fait sans doute vendre, mais c’est extrêmement inopportun lorsqu’on s’efforce d’aider le public à comprendre ce qu’ils peuvent faire – ou ne pas faire – pour réduire leur risque d’avoir un cancer.

 

Référence

Coureau G., Bouvier G., Lebailly P., Fabbro-Peray P., Gruber A., Leffondre K., Guillamo J.S., Loiseau H., Mathoulin-Pelissier S. & Salamon R. & Mobile phone use and brain tumours in the CERENAT case-control study,Occupational and Environmental Medicine, DOI: 

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1 Je n’ai pas compris le sens de la toute dernière partie de cette phrase dans le texte original (« … and there was limited opportunity to update women’s phone use after the start of the study »). Je l’ai donc traduite littéralement mais je n’arrive pas à voir ce que l’auteur veut dire. Est-ce que les femmes étaient censées conserver un niveau d’utilisation constant? Est-ce que la mise à jour dont il parle concerne plutôt les données d’utilisation? Si un lecteur comprend ce passage, je veux bien être éclairci!

2 Il me semble plutôt que les taux augmentent bien, mais la vitesse d’augmentation, elle, n’a pas changé entre avant et après l’arrivée des téléphones portables. Je dis cela sans certitude car je ne sais plus d’où je tiens cette information; il me semble que cela vient d’un autre article qui examinait l’étude INTERPHONE. Mais sans conviction…

3 Ce qui fait entre un et deux cas sur 10 000

2 réflexions sur “De retour dans les news – Téléphones portables et cancer (Cancer Research UK)

  1. l’étude en question avance qu’ « Il n’y a pas de lien entre utilisation du téléphone portable et tumeur au cerveau.», ce qui tend à penser que les craintes ne sont peut-être pas fondées en fin de compte. Certes, j’adhère au fait qu’une utilisation exagérée du téléphone peut entrainer des tumeurs dû aux radiations mais tant que tu ne touche à ton tel que rarement, je crois que tout type de risque est écarté!

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    • Je ne crois pas qu’on puisse même se prononcer sur les risques d’une utilisation « exagérée » (reste aussi à définir l’exagération). Les données ne montrent pas de lien, et du point de vue mécanisme, on ne connaît rien qui puisse provoquer des cancers avec des ondes de la téléphonie. Il faut rappeler que les ondes GSM font partie des rayonnements non ionisants, c’est-à-dire que l’énergie des photons n’est pas suffisante pour créer des cassures de l’ADN. C’est le cas de tout le spectre électromagnétique en-dessous (en termes d’énergie) des ultraviolets, ce qui comprend les ondes GSM, les ondes radio, les micro-ondes et la lumière visible (d’ailleurs, a fortiori, si les ondes des téléphones portables sont capables de faire des dégâts, alors la lumière visible en serait encore plus capable!).
      Le seul effet physiologique connu est celui de l’échauffement, et il est lié non pas à l’énergie mais à la puissance du rayonnement. Or, les puissances maximales sont réglementées aux niveaux nationaux et européen (et peut-être même international mais je n’en suis pas sûr); avec les réglementations, une exposition d’un profil au soleil pendant quelques secondes provoque une augmentation de la température du côté exposé par rapport au côté non exposé bien plus grande que celle provoquée par l’utilisation d’un téléphone portable, même pendant plusieurs heures.

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